Une brève histoire du temps

Le hall du pensionnat était inanimé en ce mois de Juillet 2015. Les élèves avaient déserté l'école, trop heureux de pouvoir profiter des vacances après cette longue année scolaire, rythmée uniquement par des examens ennuyeux et des professeurs bien trop exigeants.

Makube Fujiwara, ancien élève de la Kibasen School, promenait sa main le long des murs blancs et froids du bâtiment. Depuis combien de temps n'avait-il pas remis les pieds ici ? Combien d'années s'étaient écoulées depuis son départ ? Il regarda son portable d'un oeil distrait et fit le calcul : 7 ans. Depuis l'obtention de son diplôme en fin d'année 2008, il n'était plus retourné dans cette école de malheur, seul vestige de la personne exécrable et médiocre qu'il fut.

Sa vie n'avait pas été simple, et son adolescence ne l'avait pas aidé à y voir plus clair. Il avait ôté quelques vies, souvent indirectement, avait été à la tête d'une organisation de jeunes délinquants - appelée les "Anges Noirs", plus pathétique tu meurs - et avait participé à la destruction de quelques édifices appartenant à l'école. Une jeunesse pas si facile à assumer lorsque l'on revient sur ses pas et que tant d'années sont passées. Il sourit lorsque ses doigts s'accrochèrent aux fissures et reconnut, ça et là, quelques balles plongées dans le mur, quelques entailles provoquées par une lame affutée.
Ses pas résonnaient lourdement alors qu'il allait dans les couloirs vides, imprégnés de ses ardeurs passées. Les souvenirs étaient souvent douloureux, parfois trop vagues et incertains, quelques fois euphoriques. Rarement amicaux.

Il s'arrêta devant la porte qu'il reconnut instantanément, même si elle n'arborait plus son unique chiffre doré, comme ce fut le cas avant. La chambre 1, sanctuaire du clan des Anges Noirs, avait laissé place à la chambre "A101", probablement bien moins prestigieuse aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois. Makube caressa l'ouverture en bois de chêne tandis qu'une sensation de chaleur se frayait une place en son coeur. Sa main tourna la poignée délicatement, comme s'il était important de déguster chaque seconde de ce moment, chaque léger craquement du battant, pour mieux apprécier le temps passé entre ces murs.

La chambre était lumineuse, et il se rappela à quel point cela l'avait dérangé lors de son arrivée. Fut un temps où sa colère ne connaissait aucun apaisement et où chaque couleur lui paraissait être une agression. Il revit distinctement l'endroit où il l'avait aperçu pour la première fois. L'endroit où ils s'étaient embrassés et où ils avaient fait l'amour pour la première fois. Il se souvenait du contact de ses lèvres brûlantes contre les siennes. Ses étreintes, si émouvantes, avaient le pouvoir d'arrêter le temps et de rendre le futur plus beau. Ces instants l'avaient changé. La colère autrefois si sourde s'était tue. Il avait cessé les magouilles, il avait rendu les armes et abandonné ses envies macabres de tueries. Tout cela semblait si lointain...

L'oeil vitreux, le regard perdu dans ses souvenirs, Makube se laissa surprendre lorsqu'une voix s'éleva derrière lui. Une voix qu'il connaissait si bien, mais qui le faisait rougir dès qu'il était pris en train de rêvasser.
" Tu deviens sentimental ? "

Le jeune homme sourit lorsqu'une main enlaça la sienne et caressa ses doigts en jouant avec l'alliance en or qu'il portait depuis bientôt deux ans. Un bras l'attira fermement vers l'arrière, plaquant son corps contre celui de son ravisseur, tandis qu'une jolie tête aux cheveux bruns se blottit dans son cou.

Le sourire taquin, les yeux pétillants de malice, Kouta Dey déposa un baiser sur la joue de son mari.
Le futur laissait présager des jours heureux, enfin.